mardi 5 novembre 2013

Condamné !



En 1666, alors que Londres allait connaître un incendie qui la défigurerait, le roi Louis XIV qui avait commencé son règne « personnel » depuis 5 ans , décida de mettre sérieusement de l’ordre dans le second ordre, c’est-à-dire celui de la noblesse.

En effet, les nobles bénéficiaient de plusieurs privilèges dont celui d’être exempté de la taille. Or, la taille était un revenu non négligeable pour la couronne et les personnes qui, par le fait d’une complexité administrative évidente, vivaient « noblement » pouvaient ne pas payer cet impôt.

D’où la nécessité de mettre de l’ordre …

Louis XIV par Lebrun


Ainsi, ordre fut donné de rechercher les usurpateurs du titre de noblesse dans tout le royaume. En pratique, généralité par généralité, paroisse par paroisse, les intendants des finances devaient mener une enquête en vue de confirmer dans leur titre les nobles authentiques et condamner les autres à redevenir de simples roturiers et, accessoirement à payer une amende …

Ce travail a commencé vers 1661, mais comme cela n’allait pas assez vite et que manifestement certaines enquêtes n’avaient pas la rigueur nécessaire, le roi publie de nouvelles ordonnances le 22 mars 1666.

Comme ce billet traite de généalogie et pas d’histoire, voyons comment cela s’est traduit dans deux cas concrets et ce qu’on peut en retirer.
Le premier cas est celui de René de Chalus, écuyer, sieur de la Poupardière, mon ancêtre, qui vivait à la Baconnière en Mayenne à cette époque, et le second cas décrit ce qui arrive quand on n’est pas noble ...

Le recueil dans lequel j’ai trouvé ces informations est disponible sur le site de la BNF, Gallica.fr et est intitulé « Recherche de la Noblesse dans la Généralité de Tours ».

Dès le début, le ton est donné :

« Aujourd’huy, huictiesme jour de septembre 1666, par devant nous Jean Le Breton, conseiller du Roy, lieutenant particulier, assesseur criminel et premier conseiller au bailliage et ressort de Chinon, est comparu Jean de Laspeire, chargé de l’exécution de l’arrest du Conseil du 22 mars dernier pour la recherche des usurpateurs du tiltre de noblesse, lequel nous a remonstré que Monsieur Voisin, chevalier, seigneur de la Noiraye, conseiller du Roy en ses conseils, maître des requestes ordinaire de son hostel, commissaire desparty par Sa Majesté pour l’exécution de ses ordres en la généralité de Tours, sur la requeste qu’il luy auroit présentée le jour d’hiert auroit rendu son ordonnance par laquelle il nous auroit commis et subdélégué pour inscrire pendant son absence les inscriptions en faulx formées par led. Laspaire contre les tiltres et contracts communiqués par ceux qui se prétendent nobles jusqu’à jugement définitif exclusivement, et aussy pour recevoir les comparutions sur les assignations données pour réprésentation des tiltres de noblesse, requérant qu’il nous plaise accepter lad. subdélégation :
                                               Signé : Ménouvrier, advocat dud. Laspeyre »


Clairement, ceux qui font croire qu’ils sont nobles ont du souci à se faire …

Noble au XVIIIème


1) René de Chalus, confirmé !


Voici ce que dit le document à sa page 171 :

« CHALUS (Jean de), sieur de la Bénehardière demeurant en sa maison seigneuriale de Fresnay, paroisse de Bourgneuf-la-Forêt, élection de Laval, duché et paierie de Mayenne, comparant le XIXème juin 1668, a dit qu'il entend maintenir la qualité d'écuyer, qu'il est aîné de sa maison, et qu'outre Pierre de Chalus, curé de la paroisse de la Baconnière et prieur de Juvigné, et Guillaume de Chalus, sieur dudit lieu, ses frères puinés, demeurant, savoir ledit Pierre en ladite élection de Laval et ledit Guillaume en la province de Xaintonges, Pierre et Gabriel de Chalus, ses cousins issus de germain, demeurant savoir ledit Gabriel en la ville de Paris et ledit Pierre en ladite élection de Laval, René de Chalus, sieur de la Poupardière, son cousin au quatre ou cinquième degré, et François et Pierre de Chalus, frères, sieurs de la Braudais et de Rosé, ses cousins au neuf ou dixième degré, tous demeurant en ladite élection de Laval, il ne connaît personne de son nom et armes qu'il porte : d'azur à 3 croissants d'argent, pour la justification de laquelle qualité d'écuyer il a mis au greffe les pièces dont il entend se servir et a signé :
 Jean de Chalus

Lesdites pièces ont été rendues ce XXème juin 1668. »


S’ensuit la synthèse de l’étude des pièces qui ont été produites :



« CHALUS (de) – Originaire du Bas-Mayne.
Jean de Chalus, écuyer, sieur de la Bénéhardière, demeurant paroisse de Bourgneuf, élection de Laval, Guillaume de Chalus, écuyer, sieur dud. Lieu, demeurant en Saintonge et Pierre de Chalus, prieur de Juvigné, frères, Pierre de Chalus, écuyer, sieur de la Bérauday et Pierre de Chalus, écuyer, sieur du Rozay son frère, demeurant paroisse de Juvigné, élection de Mayenne, ont justifié la possession du titre de noblesse depuis l'année 1483 commençant en la personne de n. h. Guillaume de Chalus, sieur de la Bénehardière, 6ème ayeul des sieurs de la Bénehardière et quintayeul desdits sieurs de la Bérauday. 
Portent : d’azur à 3 croissants d’argent, 2 et 1»


Ce document, outre qu’il confirme la noblesse de mon ancêtre, est une mine d’informations pour le généalogiste que je suis car il donne le nom de tous les porteurs du nom contemporains de ce « procès » ainsi que leurs liens de parenté et leur lieu de résidence.
Dans mes recherches, je suis tombé sur tous ces personnages, mais cela m’a permis de faire le lien entre eux et de confirmer la généalogie les reliant à Guillaume de Chalus donnée par mon lointain cousin le Comte de Chalus, dans son ouvrage de la fin du XIXème siècle intitulé « Une Maison de France » …



2) Les déchus


Prenons le cas d’Antoine Chanu.
On lit, en ce qui le concerne :

« CHANU (Antoine), ci-devant l’un des vingt-cinq gentilshommes de la garde écossaise de Sa Majesté, demeurant paroisse de Vilbourg, élection et bailliage de Tours, comparant le 20 avril 1667, lequel a dit que s’il a pris la qualité d’écuyer ce n’a été que pendant qu’il a exercé ladite charge qui lui donnait droit de prendre ladite qualité, laquelle il n’a prise ni avant qu’il en ait été pourvu, ni depuis qu’il s’en est défait, depuis lequel temps il a été au contraire imposé aux rôles des tailles et du sel de ladite paroisse et a signé. »


On sent, en lisant entre les lignes, qu’il y a une véritable crainte de passer pour un usurpateur. En fait, tout l’enjeu est de dire qu’on a toujours payé la taille, ce qui signifie qu’on n’est pas redevable de l’amende.

La liste des condamnés est longue, mais je ne résiste pas à la tentation de parler du cas de Maurice Chardon. Celui-ci, titré sieur de Nueil, se plaint qu’il a subi des vexations sans fins, étant promené de juridiction en juridiction depuis qu’il a été assigné par la Cour des Aides.
La Cour des Aides l’a ainsi condamné à payer la somme de 2 200 livres parisis pour usurpation en 1664. Ce qu’il conteste c’est qu’il est condamné comme usurpateur alors qu’il n’a jamais été noble ni voulu l’être (on a un peu de mal à le croire …). En fait il justifie cette attitude que la noblesse l’aurait exempté de taille, mais demeurant à Paris et ayant diverses charges l’exemptant de fait de cet impôt, être noble ne lui aurait rien apporté de plus …

La conclusion est terrible pour cet homme :

« CHARDON (Maurice), sieur de Nueil, demeurant présentement en la ville de Chinon, comparant le 6°août 1666 pour satisfaire à l’assignation à lui donnée à la requête de maître Jean Laspeyre, pour assister à la liquidation de la somme de deux mille deux cents livres à laquelle il a été condamné par arrêt de la Cour des Aides du 15 décembre 1664, a dit qu’il n’a aucune connaissance dudit arrêt qui ne peut avoir été rendu contre lui et en demande communication ».
La mention qui suit est simple : « Condamné »


Ainsi, au-delà du réel plaisir que peut procurer la lecture d’un tel document car il fourmille d’anecdotes, on découvre plusieurs choses intéressantes qui peuvent intéresser le généalogiste :

  • Tout d’abord, on trouve certains traits de caractère et une véritable crainte des gens face à la possibilité de perdre un titre et de l’argent. Mais certains, sûrs de leur fait sont à la limite de l’arrogance toute aristocratique que leur rang leur confère. On sent que certains ont dû être extrêmement vexés de devoir se justifier de la sorte …  
  • Et puis, et c’est ce que j’indiquais dans la partie consacrée à mon ancêtre, on découvre une foule d’informations permettant d’enrichir son arbre car la noblesse devant être prouvée, ces personnes donnaient tous les justificatifs nécessaires permettant souvent de remonter 150 ou 200 ans en arrière …


Toutes les sources sont donc utiles au généalogiste, même celles qui montrent que son ancêtre a été condamné pour usurpation de titre de noblesse …

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Pour aller plus loin :

           

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