mardi 4 février 2014

Paris vaut bien une messe …


On prête cette phrase au bon roi Henri IV qui fut obligé d’abjurer sa foi protestante pour pouvoir devenir Roi de France et de Navarre. Cela ne l’empêchera pas d’être assassiné quelques années plus tard par un fanatique catholique car cette abjuration, toute pratique qu’elle fût, mécontenta en réalité tout le monde : les protestants qui y voyaient  une trahison, les catholiques qui doutaient de la sincérité de la conversion …

Or, si l’Edit de Tolérance du 13 avril 1598, dit Edit de Nantes met officiellement un terme aux guerres ayant opposé les deux partis, l’Edit de Fontainebleau signé par Louis XIV le 18 octobre 1685 met fin lui à l’existence légale du protestantisme …

Ainsi, pendant tout le règne de Louis XIV et de Louis XV, être protestant était très difficile car les pratiquants de cette religion étaient mis au ban de la société.

Edit de Fontainebleau 18 octobre 1685


Les recherches que j’effectue actuellement sur la paroisse de Béthisy Saint Pierre m’ont permis de trouver une histoire qui, lorsqu’on l’étudie de près donne un aperçu de la vie de ces ancêtres protestants, et laisse même un sentiment de malaise.

Une histoire somme toute banale ...

Tout commence à la fin du printemps de l’année 1709. Louis Saladin est un tisserand qui erre sur les routes à la recherche d’un emploi. Il est de la région mais pas originaire de la paroisse de Saint-Pierre, c’est pour cela qu’il est assez peu connu de Suzanne Frère et de sa mère Marie Boulet.

Les deux femmes vivent ensemble depuis que Jean Frère le mari de Marie Boulet et le père de Suzanne est décédé. La famille est originaire de Château-Thierry dans l’Aisne, mais depuis une vingtaine d’années, il ne fait pas bon être adepte de la Religion Prétendue Réformée. Aussi, lorsque le père décède, les deux femmes, désormais sans protection, quittent la paroisse de Château-Thierry et rejoignent celle de Béthisy-Saint-Pierre, sans doute parce que le curé y est plus tolérant.

Le destin de Suzanne Frère va se nouer lorsqu’elle rencontre ce beau parleur de Louis Saladin. Il est plutôt bel homme, a de la prestance, exerce le métier de tisserand, comme le père de Suzanne, et à force de promesses et de belles paroles, finit par avoir ce qu’il attendait de Suzanne … En plus, cela tombe plutôt bien pour Suzanne car sa mère et elle vivent à l’écart de la communauté paroissiale (car nous sommes en terre catholique) et pour une fois qu’un homme s’intéresse à elle et lui promet le mariage, elle se laisse séduire.

Ce qui devait arriver  arriva et le 13 février 1710, naît une petite Madeleine.

Un enfant, fût-il huguenot, a droit au baptême car il faut bien sauver cette pauvre petite âme avant que ce démon de Calvin ne la lui prenne ! D’autant que le curé des lieux est le curé Testelette, connu pour son manque total de sympathie envers les protestants.

Alors, est-ce par amitié, par sympathie, par obligation ? Toujours est-il que Denis Esmery et sa femme Catherine Lesueur proposent leur fils Claude, 13 ans, comme parrain, tandis que François Carrier et Catherine Sance proposent leur fille Marie, 12 ans, comme marraine. Ainsi, cet enfant, fruit du pêché, sera-t-il porté sur les fonts baptismaux par d’honorables catholiques, ce qui permet à Testelette de procéder au baptême.

Une vie terrible qui s'annonce ...

A cette époque, les gens sont superstitieux et interprètent les moindres événements. Il ya donc fort à parier que, lorsque 22 février 1710, la petite Madeleine décède, seulement âgée de quelques jours, les gens y voient comme un signe de Dieu qui refuse la vie à cette fille naturelle à moitié huguenote.
On peut toutefois mentionner que le curé Testelette a fait preuve de mansuétude envers la pauvre mère car il accepte qu’elle soit enterrée dans le cimetière de la paroisse (après tout elle a été baptisée), il accepte que sa grand-mère soit présente à l’enterrement alors que c’est une hérétique, et il note que Suzanne Frère a été séduite par Louis Saladin. Il ne fait aucune mention de la religion de la mère …

Imaginons maintenant la vie de Suzanne.

Fille mère, incapable de garder son enfant en vie, protestante, … Cela fait beaucoup pour une jeune fille.

Pour finir, le 11 décembre 1713, Marie Boulet sa mère décède à l’âge de 72 ans. Comme, au moment de passer, elle a refusé d’abjurer sa foi, le cimetière lui est refusé, et son corps est enterré devant la porte de sa maison. Après tout, les calvinistes disent bien qu’une fois le corps débarrassé de son âme, il peut être jeté n’importe où …

Mais quel calvaire pour la jeune Suzanne désormais seule.

Après la douleur et la solitude, le réconfort, mais à quel prix !

Les choses vont toutefois aller mieux quelques années plus tard car au printemps 1716, un jeune homme semble s’intéresser à elle. Il s’agit de Nicolas Leclerc, un jeune cordonnier de Compiègne, fils de Nicolas Leclerc et de Marguerite Croy. Il n’a évidemment pas connaissance du passé douloureux de Suzanne et elle lui plaît.
Seulement voilà, même s’il existe un grand nombre de protestants à Compiègne et que la famille Leclerc est assez tolérante, il y a deux problèmes : l’Edit de Fontainebleau qui interdit tout mariage à Suzanne et Nicolas, et le curé Testelette.
La seule solution, l’abjuration.
En dépit du respect qu’elle a pour ses défunts parents, Suzanne n’a pas d’autre choix que de s’exécuter et le dimanche 2 août 1716, elle accepte d’abandonner la religion de ses ancêtres pour vivre une vie normale.


« Le dimanche deuxième du mois d'août 1716, Suzanne Frère, âgée de trente trois ans environ a abjuré les erreurs qu'elle avait succès avec le laïc ? par sa naissance dans la Religion Prétendue Réformée dans l'église de St Pierre de Béthisy et a fait la profession de foi de la religion Catholique Apostolique et Romaine en présence de Mr Thomas Tesselette, prêtre curé de ladite paroisse de St Pierre de Béthisy, laquelle a fait sa marque au présent acte ne sachant écrire ni signer, conjointement avec les témoins qui ont signé avec nous, et l'acte envoyé à Soissons pour être gardé au greffe.
Loyauté, Lefevre, Colas, Testelette »


Le lendemain, 3 août 1716, elle peut enfin épouser Nicolas Leclerc et fonder une famille.
Il n’y a ensuite plus de traces du couple dans la paroisse, gageons qu’ils ont quitté la paroisse de Béthisy-Saint-Pierre pour aller s’établir ailleurs, dans un endroit où ils seraient les seuls à connaître cette part de leur histoire.

Comme je l’écrivais en préambule, cette histoire qui se finit bien, laisse toutefois un goût amer. On a vraiment l’impression quand on lit l’enchaînement des faits que Suzanne Frère a été victime d’une sorte de chantage : soit elle restait fidèle à sa foi et elle serait condamnée à vivre en recluse, soit elle acceptait de rentrer dans le rang, et elle pourrait alors vivre normalement.
Terrible époque que ce début du XVIIIème siècle où l’astre versaillais, quoiqu’éteint depuis quelques mois, influençait encore le royaume.



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Pour aller plus loin : 



           

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