mardi 29 avril 2014

Un sujet pas très catholique …


Dans la vie il y a quelques personnes dont le comportement est extraordinaire et qui peuvent nous servir d’exemple. Au milieu, il y a l’immense majorité qui est composée d’individus ni bons ni mauvais, mais tout simplement humains et qui tentent de faire de leur mieux. Mais à l’autre bout de la chaîne, il y a des personnages dont la bassesse et la médiocrité est effarante et qui sont d’une petitesse absolue.

Lors de mes recherches sur la paroisse de Béthisy Saint Pierre dans l’Oise, j’ai rencontré, je pense, un de ces hommes tiraillé entre ses pulsions, sa personnalité et les contraintes d’un monde très peu tolérant. Un de ces hommes qui composaient la majorité des sujets de Louis XIII, ni ange, ni démon.


Croix huguenote

Le contexte

Le Valois a ceci de particulier qu’il est proche de Paris et qu’il est à l’origine d’une dynastie qui a régné sur la France de Philippe VI en 1328 jusqu’à Henri III en 1589. Par ailleurs, il semble que le fait que le roi Henri IV, au départ un des leaders de la cause huguenote se soit marié à Marguerite de Valois, la sœur des trois frères ayant régné de 1559 à 1589, cette région ait été propice aux idées de la Réforme.

On trouve d’ailleurs beaucoup d’abjurations en 1698, date de la signature par Louis XIV de l’Edit de Fontainebleau, mettant fin à l’Edit de Nantes promulgué par son aïeul. Mais, ci et là et bien avant 1698, on trouve des actes d’abjurations prouvant le zèle de ces curés prêts à tout pour sauver ces pauvres âmes perdues.

Cependant, il est assez rare de trouver dans ces actes, les raisons qui ont poussé ces hommes et ces femmes à suivre les préceptes de Calvin. Certains, voire plupart, sont nés protestants et ils ont fini par se convertir de guerre lasse (plus sans doute que par conviction profonde), d’autres en revanche, nés catholiques, ont fait le choix un jour de changer de religion, mais ont finalement renoncé et sont finalement revenus dans la maison du Père, si on veut faire un parallèle avec la parabole du retour de l’enfant prodigue …

Philippe Lavoine

La première fois que j’ai rencontré Philippe Lavoine, c’était sur les deux derniers feuillets des registres paroissiaux allant des années 1638 à 1661, correspondant sans doute au ministère de Jacques Mariage, le curé de Béthisy Saint Pierre.

Ce curé avait une écriture détestable, omettait de noter les sépultures des enfants et oubliait parfois de noter des noms dans les actes de baptêmes, de mariage ou de sépulture de ses ouailles. Mais vu de l’évêché il était quand même méritant car il a réussi à faire rentrer dans la « vraie église » quelques âmes perdues. Au nombre de ces huguenots on compte Philippe Lavoine et ses enfants.

Ce qui est remarquable avec la conversion de ce Philippe Lavoine c’est qu’il est né catholique et qu’il s’est converti vers 1638 au protestantisme. La raison pour laquelle il s’est converti n’est pas spirituelle ou même intellectuelle, mais purement … personnelle. En effet, notre curé Mariage note :


« (…)lequel a déclaré que dès sa jeunesse il a toujours fait profession de la religion catholique apostolique et romaine en laquelle il a été baptisé, instruit … sinon que depuis quatre and, par la honteuse fréquentation qu’il a eu avec aucune hérétique demeurant en ce bourg, il est tombé en ladite hérésie calvinisme qu’on nomme ordinairement entre eux la religion prétendue réformée et qu’il demeura pendant ledit temps sans être néanmoins assuré ni certain de sa croyance, a… a toujours eu des doutes et difficultés sur les articles de foi qu’on professe en ladite prétendue religion (…) »


Traduit en des termes plus contemporains, Philippe Lavoine a fauté avec une huguenote et s’est laissé entraîner dans la foi de Calvin pour suivre sa maîtresse. Notre curé ne précise pas si Philippe Lavoine était alors veuf ou non (même s’il est fortement probable que oui), mais toujours est-il qu’on en peut pas s’empêcher de faire un parallèle avec la Genèse où Eve, séduite par Satan a proposé à Adam de manger le fruit de l’arbre de la connaissance … Chacun aura, je pense reconnu les acteurs de la Genèse version 1638 !

En tout cas, notre homme est tourmenté, doute de la véracité de qu’on lui enseigne au Temple et, sans doute ayant rompu avec la belle calviniste, ou celle-ci étant décédée à son tour, il décide de rejoindre les rangs de la Papauté.

Ainsi, avant de lister les témoins, l’acte donne le dénouement de cette affaire :


«(…)Etant pleinement satisfait et enhardi par les preuves de la Sainte Ecriture autorité des com… des … aux témoins … il a reconnu que ladite église catholique est la seule et vraie église en laquelle il peut faire son salut et partant et présentement de son plein gré et libre volonté abjuré et renoncé à ladite hérésie calvinisme comme abominable et détestable, désirant moyennant la grâce de Dieu rentrer au giron de la Sainte Eglise Catholique Apostolique et Romaine en laquelle il a été comme dit est, baptisé, instruit et dont il a fait profession en toute sa vie sinon derniers lesdits quatre ans et professe désormais y demeurer fermement, y vivre et y mourir reconnaissant qu’elle est la seule vraie église et que hors d’icelle il n’y a point de salut.(…) »


Notons au passage que le curé Mariage n’y va pas par quatre chemin en écrivant que la religion de Calvin n’est rien moins que « abominable et détestable » … On mesure clairement les progrès faits depuis ce temps …

Un homme pas si net que ça

Bref, le portrait de Philippe Lavoine tel que décrit pas le curé Mariage est celui d’un pauvre type séduit par une sirène huguenote, mais qui pris de remords et assailli par le doute décide de revenir au bercail, tel le fils prodigue décrit par Saint Mathieu. On peut d’ailleurs penser que la relation des faits a une vertu éminemment pédagogique pour notre curé qui a dû y voir un signe divin.

Mais remontons un peu le temps et tâchons d’en savoir plus que notre Philippe Lavoine, marchand filassier de son état, donc a priori pas si benêt que cela.

Le 27 mai 1619, Philippe Lavoine épouse Denise Lefebure. Son acte de mariage est un peu spécial car il mentionne deux informations intéressantes :


« Philippe Lavoine et Denise Lefebure, paroissiens de St Pierre de Béthisy furent conjoints ensemble par mariage le lundi 27 de mai mil six cent dix neuf assistés de quelques uns de leurs parents, après les fiançailles qui furent il y avait plus de quatre ans et ont quasi derniers temps vécus en concubinage, et pendant ledit concubinage ils ont engendré un enfant à cause de quoi ledit enfant a été mis en dessous le drap sans avoir … »


Etonnant, non ?!

Notre homme a donc été fiancé 4 ans pendant lesquels il a eu un enfant avec sa fiancée et il a fallu finalement le mariage des parents pour reconnaître ledit enfant !

La réflexion qui me vient à l’esprit, c’est que ce Philippe Lavoine est un sacré coquin qui a le chic pour se mettre dans des situations pas possibles et qui finit toujours par rentrer dans le droit chemin, contraint et forcé. Je pense qu’il aurait été plus heureux à notre époque, car manifestement, il n’était pas très heureux des règles de vie imposées par son temps !

On notera la résurgence de l’expression médiévale « enfant mis en-dessous le drap » qui signifiait jadis faire sortir inopinément l’enfant illégitime de dessous le drap marital pour simuler une naissance spontanée une fois le mariage prononcé, ce qui permettait de le légitimer du même coup, l’enfant étant né après l’union de ses parents !

Un père tyrannique ?

Non content de ne respecter aucune règle en vigueur à son époque, Philippe Lavoine a entraîné toute sa famille dans sa « folie ». En fait, on ne parle pas de sa femme, qui devait être décédée au moment des faits car je pense que s’il avait quitté sa femme légitime pour aller vivre avec sa maîtresse calviniste, il aurait été qualifié d’adultère, et les choses auraient sans doute été plus compliquées pour lui ...

Toujours est-il qu’à la suite de l’acte d’abjuration de Philippe Lavoine, on trouve celui de ses trois fils puînés, Pierre âgé de 13 ans, Jean âgé de 11 ans et Philippe âgé de 5 ans. Les raisons qu’ils mettent en avant pour justifier leur conversion au catholicisme sont que :


« (…) tous allant au prêche à leur grand refus, mais pour seulement obéir à leur père (…) »


D’ailleurs, quelques mois avant la conversion du père, le fils aîné, Antoine Lavoine avait craqué le premier puisqu’âgé de 18 ans, il abjure sa foi protestante :


« (…) lequel pour obéir à son père a été … de trois ans et demi ou environ à venir dans la religion calvinisme que l’on appelle la religion prétendue réformée, reconnaissant les abus et erreurs de ladite religion calvinisme a quitté et abandonné l’hérésie pour son ranger dans la vraie église catholique et apostolique romaine de laquelle il était sorti depuis trois ans et demi ou environ pour obéir à son dit père (…) »


Un scénario probable

Philippe Lavoine rencontre Denis Lefebure dans les années 1614. Il se fiance en 1615 mais tarde à se marier. Cependant, ne pouvant se contenter de disposer d’une fiancée et d’attendre sagement le mariage pour commettre le péché de chair, il lui fait un enfant qui naît alors qu’ils ne sont pas encore mariés … Scandale ! Le mariage tant repoussé est alors nécessaire, ce qui est fait le 27 mai 1619.

Quelques années passent et le couple voit naître d’autres enfants :

  • Antoine vers 1623
  • Pierre vers 1628
  • Jean vers 1630
  • Philippe vers 1637


Il est probable que Denise Lefebure décède vers 1637-1638. Désoeuvré, Philippe Lavoine rencontre une femme de Béthisy qui est protestante. Il tombe amoureux et la suit, avec ses enfants, forçant tout le monde à suivre les préceptes de la Religion Prétendue Réformée. Nous sommes alors en 1638.

Mais au fond de lui, il n’est pas convaincu, et il est possible que son métier de marchand filassier en pâtisse. La révolte gronde aussi parmi ses enfants qui sont sans doute rejetés par leurs anciens amis catholiques et pas forcément acceptés par les protestants …

En octobre 1641, le signal du ralliement à la religion catholique, apostolique et romaine est donné par Antoine, le fils aîné. S’ensuivent le père et les autres fils.

Voici donc une histoire peu banale d’un homme sans doute pris entre sa personnalité et les contraintes imposées par une époque où la religion était tout … Un homme pas très catholique en somme !


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Pour aller plus loin :


           

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