mardi 4 novembre 2014

Nouvelles du front


Il y a des vacances plus enrichissantes que d’autres et il y a des vacances qui réservent des surprises inattendues. Dans les deux cas, on ne regrette pas d’avoir dû quitter le confort de son bureau pour aller passer quelques temps en d’autres lieux où les conditions pour la recherche généalogique sont moins bonnes.

Dans le cas présent, les dernières vacances ont été extrêmement profitables puisque j’ai eu l’occasion de découvrir une mallette dans laquelle étaient stockées depuis près d’un siècle, les courriers qu’un des arrières-grands-pères de mon épouse a envoyé à sa femme, depuis sa mobilisation jusqu’à quelques semaines de sa mort le 29 octobre 1915.

François Dalbert Chauvit 1886-1915


J’ai déjà longuement parlé de cet homme, François Dalbert Chauvit, fauché à 29 ans par cette guerre terrible. Il se trouve qu’il est resté dans la mémoire familiale comme une sorte de héros car son décès est la conséquence d’une blessure qu’il aurait reçue en protégeant les hommes dont il avait la responsabilité. Ce dernier point est incertain dans la mesure où je ne dispose d’aucun document sur les circonstances exactes dans lesquelles il a été blessé.
En revanche, en fouillant les archives familiales, je découvre un homme de son époque, avec ses convictions et son caractère, et tout cela est d’une richesse infinie.

D’ailleurs, j’envisage, aux prochaines vacances, de scanner méthodiquement tous les courriers mentionnés plus haut, pour les classer chronologiquement et les transcrire afin de proposer aux descendants de François Dalbert Chauvit une sorte de témoignage de la guerre vu depuis un caporal de l’Armée Française …

Pour donner un aperçu de la teneur de ses courriers, en voici deux qui se suivent dans le temps puisqu’ils sont datés respectivement  du 13 et du 15 février 1915. Pour situer ces courriers dans leur contexte, François Dalbert vient de vivre deux événements importants :

  • Le décès de son père qui est survenu le 20 janvier
  • La naissance de sa fille Alice qui est survenue le 28 janvier


Les transcriptions sont faites en respectant l’orthographe et la syntaxe des courriers originaux …



« Le Tremblay 13/2 1915
Ma chère Hélénie,
Je viens à l’instant de recevoir par l’intermédiaire de Roger ta lettre du 6. Je suis bien heureux que tu aime bien notre pauvre petite mais aussi je l’aime déjà autant que mon petit Georges et il me tarde bien de la voir, apprends-le lui aussi à bien aimer sa petite « nixe » (Note : elle se nomme Alice et j’imagine que son frère âgé de 2 ans et demi la nomme ainsi).
Bien qu’elle n’ai pas été (désirée) pour nous ils seront toujours égaux, ce n’ai point sa faute pauvre petite si elle ne nous était pas indispensable. Elle n’a point demandé à venir, et, si elle ne nous était pas indispensable pour vivre elle ne nous empêchera pas non plus ! Le plus ennuyeux c’est de l’élever, c’est sa peine et sa santé qui s’altèrent à ton profit ! Tu fais bien de ne pas la faire baptiser avant mon retour, car Louis et Rosa sont tous désignés pour la tenir, eux s’intéressent à nous et ça leur revient de droit.
Quand bien même il faudrait attendre longtemps, attend, elle n’en voudra pas et ne te laisse pas intimider par de faux préjugés ! J’espère qu’avec les bons soins de ta mère tu n’as pas fait d’imprudence et que tu ai a peu près remise c’est-à-dire en aussi bonne santé que possible. Fais tout ton possible pour te bien soigner que ce soit ta plus grande occupation tout le reste doit passer après. Aussitôt que tu seras capable de supporter l’air de dehors ainsi que la petite chérie faite vous photographier. SI cette demoiselle ne pouvait pas chez moi, pouvaient en trouver à Montmoreau.
Je m’étais fait photographier ici mais ça n’avait pas resté assez longtemps dans le bain, c’était moche pour que je te l’envoie. J’écris à Gayou et je luis dis de monter te payer, faites lui donner tout ce que vous pouvez, regardez sur le livre rien que l’an dernier ça doit se monter à 182 F 50.
Il fait un temps de chien et je suis heureux d’être là près du feu avec mes gros sabots et ma couchette de paille.
Hier il avait neigé et aujourd’hui il pleut à torrent.
Je t’embrasse de tout mon cœur ainsi que mes deux petits et tes parents.

Chauvit »

 Et la seconde :


« 15 février 1915

Ma très chère Hélénie,
Je suis toujours au Tremblay et bien heureux, je n’y resterai jamais assez nous voudrions bien tous y finir la guerre ! Nous trouvons tous en avoir fait notre part mais mois je n’exagère pas en le disant. J’ai pour amis 2 braves garçons, l’un prpr (Note : lire « propriétaire ») vers La Rochefoucauld est venu à nos foires, l’autre boulanger est de vers Tarbes, nous faisons la partie ensemble dans un petit bourg qui est situé à un km environ d’ici derrière un grand bois.
Nous faisons une bourre, prenons quelques consommations, juste pour passer le temps et calmer la soif ! Je ne fais point d’excès, j’économise tant que je peux mais quand nous en avons l’occasion nous oblige de nous distraire pour oublier le mauvais temps et les périls.
Hier soir nous y avons retrouvé trois jeunes messieurs qui parlaient Allemand et bien avec la patronne, nous y revenons ce soir pour qu’elle nous renseigne sur ce qu’ils sont ! J’étais excité et les surveillais le moindre geste la moindre parole contre nous c’en était fait de leur vie ! Mais comme ils ne disaient rien nous ne pouvions les attaquer sans savoir ce qu’ils étaient.
Les gens sont assez gentils envers nous, mais il y a tellement d’espions parmi nous que nous n’avons confiance en aucun des habitants.
Des bruits ont couru que notre Division allait être relevée et renvoyée ou en Alsace ou a Paris, est-ce vrai je l’ignore encore ? Il est certain qu’il y a un grand mouvement de troupes et que quelque chose se prépare.
Je reçois bien tes lettres mais je n’ai point reçu celle de Mme Moineau. Tant qu’aux colis, je ne pourrais pas les recevoir car j’ai dit à Roger de les garder.
Il faudra aussitôt qu’il ne fera plus de froid que je t’expédie les effets que j’ai en trop.
Si je vois Antoine je lui donnerai le colis, tu ne peux te faire idée de ce que je suis content de le voir ! Depuis si longtemps si exposé et ne voir personne de ma famille, ici à 600 km ça me rapporte là-bas vers vous tous. Que ton père ne se casse pas la tête pour le travail et surtout ne se fatigue pas et risque de prendre du mal c’est assez bien que tu sois malade toi. Et pendant qu’il n’y seront pas fais bien attention à toi et à notre petite Alice.
Je t’embrasse de tout mon cœur ainsi que mes deux pauvres petits et ton père et ta mère.
Ton mari qui pense à toi bien souvent

Chauvit »


Ces deux exemples illustrent trois choses intéressantes.

Premièrement, le temps est long sur le front et l’ennui est redoutable. Cela laisse d’ailleurs le temps à François Dalbert pour gérer sa maison à distance. L’exemple du baptême à décaler est un exemple édifiant !

Ensuite, il pense beaucoup à sa femme, espère qu’elle va bien, lui demande de se maintenir en bonne santé. Est-ce pas amour pour elle ? est-ce parce qu’il craint que ses enfants en pâtissent ? Difficile de savoir mais je pencherais quand même pour de l’amour mêlé de tendresse. Il faut dire que marié en 1911, il n’a pas pu profiter de sa vie en couple très longtemps …

Enfin, ce rapport aux Allemands est assez fort. J’ai du mal à croire que des soldats Allemands puissent prendre un verre dans un café situé manifestement à l’intérieur des lignes françaises … Peut-être s’agit-il d’Alsaciens ? En tout cas la réaction de cet ancêtre, pourtant bien éduqué peut surprendre …

Dans tous les cas, plonger dans cette correspondance vieille d’un siècle est une chance car cela permet de découvrir vraiment la personnalité d’un ancêtre, même s’il n’est pas très ancien. C’est une chose rare en généalogie de pouvoir disposer d’un tel corpus. Et je compte bien en profiter !


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2 commentaires:

  1. Mallette contenant des joyaux en quelque sorte, à consommer avec délectation j'imagine,
    merci de nous en faire profiter
    Nésida

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  2. Il s'agit très clairement d'un trésor !
    En fait, pour le moment, je n'ai pu que contempler les documents sans les lire ni les analyser tous ...
    Mais rien que de voir ces lettres écrites au crayon à papier, avec cette écriture régulière et bien formée est en soi quelque chose de très fort !

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