mardi 25 mars 2014

Le tatoué


Depuis leur retour de Salt Lake City, certains généalogistes ont lancé une discussion sur le story telling en généalogie. C’est un sujet intéressant car si les histoires sont bien racontées, cela permet de donner du corps à une généalogie qui ne serait sans cela qu’une suite insipide de noms, de dates et de lieux.

Mais pour ne pas tomber dans le roman, il est nécessaire de s’assurer que les faits qui sont décrits sont avérés, l’imagination de l’auteur n’étant activée que pour lier certains événements entre eux. Encore que cette « imagination » ne doive se baser que sur des éléments sinon réels, au moins fortement probables.

Pour cela, le généalogiste dispose de plusieurs sources : les registres paroissiaux ou de l’état-civil, les actes notariés, les articles de presse, les livres, les listes de matricules, les registres militaires, les recensements, etc..
Chaque époque fournit son lot de documents, même si (malheureusement), plus on remonte dans le temps, moins les sources sont étoffées.

Pour illustrer le propos ci-dessus, je vais parler dans ce billet de mon arrière-grand-père paternel, Pierre Joseph SABOT, le sosa 16 de mes enfants et que je nomme affectueusement « le tatoué ».


Agents de police à la fin du XIXème siècle


Les informations qui vont être données ci-dessous proviennent de trois sources principales : les registres de l’état-civil de Saint-Etienne (Loire), sa fiche militaire et des archives familiales dont une bible. Et ces sources permettent de montrer ce qu’on peut faire (ou écrire) lorsqu’on quitte quelques instants les registres de l’état-civil.

Ce que nous donne l’état-civil

Pierre Joseph SABOT est né le 12 mars 1864 à Saint-Etienne du mariage d’André SABOT et d’Annette CHAREYRON. Il épouse Marie Julie FOGERON le 4 septembre 1893, également à Saint-Etienne et de ce mariage naîtront 8 enfants dont 6 parviendront à l’âge adulte, au nombre desquels se trouve mon grand-père paternel.

A ce jour, j’ignore la date de son décès, mais je sais qu’il est décédé après 1910.

Inutile de revenir sur ce qui a été dit plus haut, mais on se rend rapidement compte que les données recueillies dans les registres de l’état-civil ne permettent pas d’aller très loin …

Un élément supplémentaire

Il se trouve que nous détenons la bible qui lui a été remise lors de son mariage avec Marie Julie FOGERON. Pourquoi une bible ? Parce que la tradition protestante est de remettre une bible au couple qui vient de se marier, de sorte à permettre à la famille d’étudier les écritures à la maison. J’ai d’ailleurs moi aussi reçu une bible du pasteur qui m’a marié, comme quoi, certaines traditions traversent les siècles !

Cette bible nous apprend deux choses.

Tout d’abord, elle montre que Pierre Joseph SABOT et Marie Julie FOGERON étaient protestants. Cela n’est pas rare dans cette région, mais cela donne un éclairage particulier sur une minorité religieuse qui n’a eu réellement le droit d’exister qu’à partir de 1787 … Et cela me permet accessoirement de faire remonter l’adhésion à la religion protestante de ma branche paternelle au moins à cette période.

Ensuite, sur cette bible figure la liste des enfants qui sont nés du mariage ainsi que leurs dates de naissance et, pour ceux qui sont morts jeunes, leur date de décès. On dispose donc d’informations qu’il sera aisé de vérifier et on a la descendance complète du couple.

Enfin, ces notes étant manuscrites, on a un document assez émouvant dans la mesure où ce sont les parents eux-mêmes qui ont écrit ces informations.

Le livret militaire

Par chance, Pierre Joseph SABOT n’a pas effectué un service militaire classique et son livret est suffisamment complet pour, non seulement nous donner un aperçu de sa carrière entre 1884 et 1910, mais encore nous donner une explication parfaitement recevable sur ladite carrière.

Commençons par le début.

On apprend tout d’abord que Pierre Joseph SABOT faisait 1m59 de haut (ce qui n’est pas bien grand …) qu’il était châtain, qu’il avait les yeux bleus, un front bombé, un nez et une bouche moyens, un menton rond et un visage ovale ! De quoi dresser un portrait-robot de notre homme.
Mais, on apprend également qu’il portait un tatouage au bras droit !  Que représentait ce tatouage ? En quelles circonstances l’a-t-il fait faire ? Difficile de répondre, même si la suite de la lecture donne quelques pistes.

Etant né en 1864, il était de la classe 1884.
Effectivement, nous apprenons qu’il a tiré le numéro 25 lors du tirage dans le canton de Saint-Etienne et que la visite médicale l’a déclaré « propre au service ». Nous savons également que son niveau d’instruction était 3, ce qui signifie, si on s’en réfère à l’ordonnance du 26 novembre 1872 qu’il « possédait une instruction primaire plus développée ».

Sachant que le niveau 2 signifie savoir lire et écrire et que le niveau 4 signifie qu’on a obtenu le brevet de l’enseignement primaire, on en déduit que Pierre Joseph SABOT savait lire, écrire, compter et avait quelques notions de culture générale.

La suite est intéressante.

Il a quitté Saint-Etienne le 2 décembre 1885 et est arrivé au Corps le lendemain. Il est affecté au 3ème Régiment d’Infanterie de Marine basé à Toulon. Pourquoi cette affectation ? Etait-ce volontaire ou arbitraire ? Impossible de le savoir sans témoignage direct.
Toujours est-il que ce Régiment a été créé par Louis Philippe le 20 novembre 1838 et il a pris une part active aux expéditions françaises qui ont permis la réalisation de l’Empire colonial.

Cochinchine et Cambodge ...


Il restera dans ce Régiment jusqu’au 19 avril 1889, date à laquelle il rejoint le 4ème Régiment d’Infanterie de Marine. Il n’y restera que quelques mois car le 10 juillet 1889, il est envoyé en congés renouvelables en attendant son passage dans la réserve. A cette époque un certificat de bonne conduite lui est accordé.

Mais alors, qu’a-t-il fait pendant toutes ces années ?
La suite du livret nous l’apprend :

  • du 20 juillet 1887 au 23 août 1887, il reste en France
  • du 24 août 1887 au 1er décembre 1887, il part pour la Cochinchine (Sud du Vietnam)
  • du 2 décembre 1887 au 15 janvier 1889, il se trouve au Cambodge
  • du 16 janvier 1889 au 18 avril 1889, il retourne en Cochinchine
  • du 19 avril 1888 au 21 mai 1889, il est sur le Colombo, navire qui effectuait la navette entre la France et l’Indochine pour y transporter les troupes

Le Colombo, transporteur de troupes coloniales


Le temps de revenir en France, et il passe dans la réserve le 1er novembre 1889 …

Personnellement, je trouve extraordinaire qu’un simple ouvrier de Saint-Etienne ait pu partir aussi loin et pendant près de 2 ans ! Et on tient sans doute là l’explication du tatouage au bras droit !

Mais les informations tirées de ce document militaire ne s’arrêtent pas là car il nous apprend que du 27 mars 1890 au 5 mai 1891, il est affecté spécialement à la Manufacture d’Armes de Saint-Etienne. Ce qui est étonnant c’est qu’il descendait (sans le savoir sans doute) d’une lignée d’armuriers de Saint-Etienne qui sévissait à l’époque du règne de Louis XV … Comme quoi, l’histoire aime les clins d’œil …

Etant dans la Réserve, il était supposé effectuer des périodes de service. Mais le document nous apprend qu’il n’en a réellement effectuée qu’une, du 22 août au 18 septembre 1891, au 4ème Régiment d’Infanterie de Marine. Sans doute une occasion pour lui de retrouver ses camarades.

Mais il n’effectue pas sa seconde période de service car il est dispensé du fait qu’il exerce désormais le métier d’agent de police !

Le 1er novembre 1892, il passe dans l’armée territoriale mais il n’est toujours pas disponible du fait de son métier d’agent de police.

Les dernières informations dont on dispose indiquent qu’après être passé dans la Réserve de l’Armée Territoriale le 1er Novembre 1904, il est définitivement libéré de service militaire le 1er Octobre 1910. Il a alors 46 ans et 6 enfants !

Retour à l’état-civil

Si on revient un peu à l’état-civil, on comprend mieux son mariage « tardif ». En effet, il n’épouse Marie Julie FOGERON que le 4 septembre 1893, c’est-à-dire à 29 ans. Seulement, les informations découvertes plus haut donnent une explication plausible : il était à l’étranger jusqu’à fin 1889 et que ce n’est qu’à partir de mi-1891 qu’il trouve un emploi « stable » de gardien de la paix.

Il a sans doute attendu de disposer de suffisamment de revenus fixes pour penser à fonder une famille.

Quelle conclusion en tirer ?

Un petit homme de 1m59, châtain aux yeux bleus, Pierre Joseph SABOT, quitte sa ville natale de Saint-Etienne pour Toulon. Mais ce n’est là qu’une première étape. Il part ensuite au sud Vietnam et au Cambodge, servant dans le 3ème puis le 4ème Régiment d’Infanterie de Marine pendant 4 ans.
A son retour en métropole, il travaille quelques temps à la Manufacture d’Armes de Saint-Etienne puis devient Agent de Police. Deux ans plus tard il se marie au Temple et à la Mairie avec Marie Julie FOGERON qui lui donnera 8 enfants, dont mon grand-père paternel !

Quelle vie !

Tous ces documents m’ont énormément appris sur cet ancêtre finalement très proche, ce qui démontre que toutes les sources sont bonnes à explorer. Il restera toujours des mystères comme ce que représentait son tatouage, mais on peut désormais imaginer quelques pistes car sans doute avait-il un lien avec le RIMa ou l’Indochine …
Il ne restera plus qu’à mettre tous ces éléments en forme, les étayer avec la documentation nécessaire sur la période de la colonisation pour écrire une tranche de vie de Pierre Joseph SABOT … Mais ceci est une autre affaire !



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Pour aller plus loin :




           

mardi 18 mars 2014

4 (mauvaises) raisons de détester la généalogie


Celles et ceux qui me suivent depuis que j’ai commencé ce blog sont sans doute étonnés par le titre de ce billet. S’agit-il d’un mouvement d’humeur consécutif à une actualité généalogique ? S’agit-il des prémices d’un abandon de la généalogie de ma famille ? S’agit-il d’une révélation qui rendrait la généalogie détestable ?

Rien de tout cela !

En fait, et pour rassurer le lecteur, il s’agit de la tentative d’une synthèse de ce qu’on peut trouver de pire en recherche généalogique. Et je dois cela à un homme, un curé que je maudis chaque fois que je plonge dans ses registres. Cet homme c’est Jacques Mariage, curé de Béthisy Saint Pierre dans l’Oise. Il sévit au milieu du XVIIème siècle en plein règne de Louis XIII et, si je devais résumer son œuvre, je dirais que la seule chose agréable chez cet individu est sa signature …

Signature du curé Jacques Mariage


Pourquoi tant de haine me direz-vous ? Tout simplement parce que notre Jacques Mariage se moque du monde. Pas seulement de nous, généalogistes amateurs, mais même ses contemporains ! Il donne, par son attitude je-m’en-foutiste une piètre image du métier de curé ! Surtout, il risque de rebuter rapidement le néophyte qui aurait le malheur de commencer la généalogie par ses registres …

Il incarne une sorte de synthèse de tout ce dont un généalogiste à horreur.

Voici donc 4 de ces choses détestables qui donneraient (presque) envie d’abandonner la généalogie ;-)

Des actes vides

Que dîtes-vous de ceci ?

« Le mardi huitième février (1650) fut baptisé

Son parrain Toussaint Baillon, sa marraine Marguerite Lefebure »


Génial … Qui est baptisé ? Qui sont ses parents ? En d’autres termes, à quoi sert cet acte ?
Imaginons la mine déconfite du généalogiste qui recherche le baptême d’un de ses ancêtres et que cet acte soit celui qui est recherché … Comment le prouver ? Impossible … Notre généalogiste aura beau hurler de désespoir, cela ne servira à rien ! Tout cela parce que notre bon curé a omis de remplir les blancs de l’acte qu’il avait pris le soin de pré-écrire !

On notera que ledit Mariage est coutumier du fait oubliant d’écrire ici le prénom du père, ici le nom de la mère, là le nom de la marraine … Bref, n’importe quoi !

Des enfants éternels

Ce même curé a également omis de préciser, aussi bien en marge que dans la section dédiée aux sépultures, si l’enfant qui venait de naître était décédé ou non … Autrement dit, il a bien noté le baptême, mais jamais la sépulture éventuelle.

Il ne s’agit pas d’un hasard, mais bien d’une volonté délibérée puisqu’il enregistre les sépultures des adultes ou jeunes personnes. De temps à autre, sans doute pris de remords, il notera en marge un gribouillis où on distinguera le mot « inhumé » suivi d’une date …

Là encore, comment voulez-vous reconstruire des arbres sérieux. On aura certes la trace des enfants qui auront vécu, mais quid des 50% d’enfants qui mouraient avant de souffler leur première bougie, si on peut s’autoriser cet anachronisme …

Allez ensuite expliquer au généalogiste débutant que la généalogie est une activité sérieuse ;-)

Une écriture de cochon


Je lisais il y a peu quelques échanges sur des ateliers de paléographie. Je pense que ce sujet est passionnant et qu’il devrait intéresser beaucoup de monde (moi le premier). Mais, pour autant, cela donne-t-il le droit à notre curé Mariage d’écrire n’importe comment, formant ses O comme ses V, ses S comme ses H et surtout en faisant preuve d’une imagination débordante quant à la façon d’orthographier les noms de ses paroissiens…

Et, monsieur le curé devait être bien paresseux car si un mot ou un nom était trop long, il se contentait de le raccourcir en regroupant la dernière syllabe sous une sorte de signe cabalistique illisible …

Que dirait le néophyte en tombant sur ces lignes ! Que tous les curés, blasés de recouvrir les parchemins d’actes, avaient décidé d’un commun accord de les rendre illisibles aux générations futures ?

Deux actes pour le prix d’un

Le pompon est quand même l’année 1649 où, soit la fatigue, soit la maladie, soir l’âge, soit l’abus de vin de messe, soit un peu de tout à la fois, ont fait de notre curé un homme dangereux !

En effet, le 17 octobre 1649, il baptise Barbe BRAYE, fille de Casard BRAYE et de Laurence HENRY. Ne me demandez pas si « Casard » est un vrai prénom, une transcription phonétique d’un prénom qui m’est inconnu, ou une erreur de lecture (voir le point précédent) de ma part, c’est seulement ce qui ressemble le plus à ce que j’ai lu ...

Mais revenons à nos moutons.

La petite Barbe a pour parrain Jean CADOT et pour marraine Barbe SANCE (qui se trouve être une de mes ancêtres).

Rien d’extraordinaire.

Alors pourquoi diable (sans jeu de mot) sur la page d’à côté, en date du 12 novembre 1649, le curé Mariage baptise-t-il Barbe BRAYE, fille de Casard BRAYE et de Laurence HENRY ? Et que ce sont Jean CADOT et Barbe SANCE qui l’ont portée sur les fonts baptismaux …

C’est quoi cette histoire ? Il est devenu fou ! Deux baptêmes pour le même enfant à presque un mois d’intervalle !
Il est probable qu’il s’agisse d’une erreur de retranscription car les registres sur lesquels je travaille semblent être la copie remise au greffe dans la mesure où aucune signature n’y figure. Cela peut d’ailleurs expliquer les manques. Mais quand même, quel manque de rigueur !


Pour conclure

J’ai voulu traiter avec un peu d’humour de ces cas qu’on rencontre de temps en temps lorsqu’on effectue sa généalogie.
Il est clair que le fait de tomber sur un curé absolument pas rigoureux est une vraie souffrance !
C’est ici que le dépouillement systématique joue un rôle crucial car il permet, par recoupement, de retrouver des informations qui ne figuraient pas sur les actes, ne serait-ce par exemple que les noms des parents, grâce à la découverte de fratries, ou par la lecture des actes de décès de l’un ou l’autre des époux (ou de leur remariage), faits intervenant à une époque postérieure au règne du curé défaillant …

Si je devais conclure de manière positive, je dirais au débutant de ne jamais se décourager, de multiplier les sources pour arriver à trouver ce qui fait défaut devant soi et de persévérer. C’est à ce prix uniquement que vous ferez des découvertes qui vous feront oublier ces curés calamiteux !

Et vous, avez-vous eu vos curés Mariage ?



Pour aller plus loin :
           

mardi 11 mars 2014

Même les métiers ont leurs ancêtres …



Le thème de ce mois-ci porte sur ces métiers que nos ancêtres ont pu exercer mais qui, le temps passant ont fini par disparaître complètement allant même jusqu’à s’effacer de notre vocabulaire.

Certains métiers en revanche continuent d’exister mais sous un autre nom ou sous une autre forme. C’est le cas du métier de clerc, ou plus précisément de la fonction de clerc, qui a été exercée par un de mes ancêtres à la fin du règne de Louis XIV.

Spontanément, quand on prononce aujourd’hui le nom de « clerc » on pense à une fonction comme celle de clerc de notaire. On peut penser également à « clergé » qui a la même racine.  Or, en l’espèce, au XVIIème ou au XVIIIème siècle, la fonction de clerc recouvrait beaucoup plus de choses que cela.

Ecole d'antan ...


En effet, le clerc était en quelque sorte le bras droit du curé de la paroisse et s’occupait de toutes les tâches pratiques. Un peu comme si le clerc gérait les aspects matériels et le curé les aspects spirituels de la paroisse.
Ainsi, il était présent aux offices et le fait que sa signature figure très souvent au bas des actes de baptême, de mariage ou de sépulture, montre que non seulement c’était un lettré, mais également qu’il secondait bel et bien le curé.

D’après Jacques Bernet, dans son ouvrage « Journal d’un maître d’école d’Ile de France 1771-1792», il semble que le clerc sonnait les cloches, remontait l’horloge de l’église, participait au nettoyage voire à la décoration de celle-ci et gérait les enfants de chœur avec le bedeau.

Un autre aspect non négligeable, et qui était lié à sa qualité de lettré est qu’il pouvait réaliser plusieurs travaux d’écriture comme la façon de registres pour les commerçants, la dresse annuelle des compte des marguilliers, etc..

Si on parle argent, il tirait ses revenus de différentes sources :

  • il était rémunéré sur la dîme qu’il prélevait au nom du curé de la paroisse
  • il était rémunéré pour la rédaction des différents documents décrits ci-dessus  
  • il était également maître d’école pour les enfants de la paroisse et était rémunéré par les parents ou par la paroisse selon le niveau de vie des parents.


Ce dernier aspect est fondamental car cela montre qu’il avait un rôle social très important au sein de la paroisse et était incontournable. Même si les revenus qu’il tirait de sa fonction n’étaient pas forcément importants, il était le point central de la vie de la paroisse.



En effet, vers la fin du XVIIème siècle, la majorité des écoles de garçons étaient tenues par les vicaires ou les curés et au début du XVIIIème siècle, la baisse du nombre des ecclésiastiques a obligé les paroisses à se doter de clercs pour pourvoir à l’enseignement des enfants.
Ils étaient nommés par la communauté d’habitants et étaient liés par un contrat civil indiquant la durée d’engagement et la période scolaire.
 
Ainsi le déclarait en effet le Roi Louis XIV le 13 décembre 1698, deux mois après la Révocation de l'Edit de Nantes :

«Voulons, que l’on établisse autant qu’il sera possible des maîtres et des maîtresses dans toutes les paroisses où il n’y en a point, pour instruire tous les enfants du catéchisme et des prières qui sont nécessaires et nommément ceux dont les pères et mères ont fait profession de la religion prétendue réformée... comme aussi pour apprendre à lire et même à écrire à ceux qui pourraient en avoir besoin ; et que dans tous les lieux où il n’y aura point d’autres fonds, il puisse être imposé sur tous les habitants la somme qui manquera pour leur subsistance jusqu’à celle de 150 livres par an pour les maîtres, et 100 livres pour les maîtresses...
Enjoignons à tous les pères et mères, tuteurs et autres personnes qui sont chargées de l’éducation des enfants, de les envoyer aux dites écoles et au catéchisme jusqu’à l’âge de quartorze ans et nommément les fils des anciens protestants...»

Dans mon cas particulier, mon ancêtre clerc se nommait Sébastien LOYAUTE et a vécu de 1653 à 1728 à Béthisy Saint Pierre dans l’Oise. Il a épousé Antoinette LAFAGUE entre 1673 et 1685 et de cette union sont nés 4 enfants dont 2 garçons et 2 filles qui toutes et tous savaient écrire avec une belle écriture.

Etant en train de relever les actes de baptême, mariage et sépulture de la paroisse de Béthisy Saint Pierre entre 1617 et 1792, j’ai pu retrouver plusieurs clercs. Mes recherches étant en cours, il y a des trous dans la « timeline » de la fonction de clerc, mais elle donne un aperçu assez intéressant :

  • de 1639 à 1640 : Martin DELACROIX
  • de 1669 à 1677 : François LABOURE
  • de 1678 à 1689 : René LEFEBURE
  • de 1695 à 1710 : Sébastien LOYAUTE
  • de 1711 à 1717 : Nicolas Sébastien LOYAUTE (fils du précédent)
  • de 1719 à 1720 : Antoine LANDOT
  • de 1721 à 1736 : Louis LEROY
  • de 1737 à 1746 : Jacques SIMON (le dépouillement s’arrêtant pour le moment à 1747, je n’ai pas trouvé de clercs ultérieurement)


Ainsi, la mise en œuvre  d’une généalogie des métiers au sein d’une paroisse permet-elle de montrer que, à l’instar des personnes physiques, certaines fonctions ont pu évoluer dans le temps pour donner de nos jours une descendance importante !

Le fait de découvrir qu’un de mes ancêtres avait exercé cette fonction m’a montré qu’une fois de plus, l’idée reçue que nos ancêtres qui vivaient dans des petites paroisses étaient des brutes épaisses et sans aucune culture, étaient en réalité bien plus raffinés et qu’il existait une vraie société rurale avec ses intellectuels, ses marchands, ses travailleurs et ses artisans.

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Pour aller plus loin :
           

mardi 4 mars 2014

Cœurs brisés …


La généalogie a ceci de particulier qu’elle nous permet parfois de découvrir des textes qui, au-delà des dates mentionnées et des personnes citées, apportent des détails de la vie courante de nos ancêtres.

L'Accordée de village - Jean Baptiste Greuze - 1761


Au cours de mes recherches sur la paroisse de Béthisy Saint Pierre dans l’Oise, j’ai ainsi retrouvé un acte entérinant la rupture de fiançailles pour des raisons purement financières …

Voici le texte en question :

Ce jourd'hui dix neuvième jour du mois de juin de l'année mil six cent quatre vingt sept sont comparus par devant moi, prêtre curé de Béthisy soussigné, Denis Fagnet, garçon âgé de vingt deux ans et Marguerite Didelet, fille âgée de vingt trois ans.
Lesquels à cause qu'ils ont reconnu qu'ils s'attouchent de parenté au quatrième degré de consanguinité  et que d'ailleurs ils n'ont pas les moyens d'envoyer en cour de Rome pour en obtenir la dispense, ont volontairement et de leur propre gré renoncé par ces présentes et renoncent aux promesses mutuelles de mariage qu'ils se sont réciproquement donnés en face de la Sainte Eglise le dernier jour de décembre mil six cent quatre vingt cinq, en conséquence de quoi ladite Didelet a remis en mains dudit Fagnet une bague d'argent doré avec un livre de prière, en foi de quoi ils ont signé et fait leurs marques en présence de messire Nicolas Baudequin prêtre curé d'Orrouy, Denis Bataille, Monsieur François Desjardins, vigneron, Jean Didelet laboureur et Jeanne Collas femme de Maître Pierre Choron, marchand
Le tout sans prendre rien de part et d'autre pour les frais faits en conséquence dudit fiançailles.


Que nous apprend ce texte ?

Tout d’abord, il explicite une mention courante lors des actes de mariage « après la publication des bans et les fiançailles (…) ». On peut parfois avoir l’impression que les fiançailles sont prononcées juste avant le mariage.  Or, en l’espèce, les fiançailles (comme à notre époque) peuvent être faites bien avant le mariage.
Cela explique par ailleurs pourquoi dans certains actes de baptême, on trouve un parrain et une marraine qui se marieront plus tard. Il ne s’agit alors pas d’un simple parrain et d’une simple marraine qui se découvriront et finiront par se marier, mais bien d’un couple déjà fiancé. Ce n’est pas le cas de notre couple, mais j’ai déjà trouvé ce type relation pré-maritale à plusieurs reprises.

Ensuite, il semble que la demande de dispense suite à une consanguinité trop importante entre les futurs époux soit à leur charge. Ou en tout cas que les frais doivent être assumés, sinon par les fiancés, au moins par leurs familles.
Dans le cas de ce texte, il semble que lorsque le curé parle de consanguinité au quatrième degré, il s’exprime selon le droit civil et non pas le droit canon. En effet, dans le droit civil, ce niveau de consanguinité est atteint lorsque les futurs sont cousins germains. Or ce type de relation nécessite une dispense papale.

Enfin, le détail des cadeaux qui avaient été offerts lors des fiançailles est émouvant : un livre de prière et une bague en argent doré. Il est difficile de se représenter la valeur financière d’une telle bague, mais on imagine sans peine le désarroi de la fiancée devant rendre ce cadeau à son ex-fiancé …

Mais une découverte généalogique sans énigme ne serait pas complète …

Je me pose en effet plusieurs questions :
Les fiançailles ont eu lieu le 31 décembre 1685 et la rupture intervient le 19 juin 1687, soit près d’un an et demi plus tard. La paroisse est petite et tout le monde sait parfaitement qu’ils sont cousins germains et que leur mariage ne pourra se faire qu’après dispense accordée par le Pape.

Dans ces conditions, pourquoi avoir attendu aussi longtemps ? Cette « excuse » ne cache-t-elle pas autre chose ?
Il est parlé d’un accord volontaire et mutuel, mais quand on sait le statut de la femme à cette époque, on a du mal à croire qu’elle ait volontairement donné son accord.

Je vois plutôt les conséquences d’une affaire plus importante car comme par hasard, je ne retrouve pas la trace d’un mariage de ladite Marguerite Didelet dans les temps qui ont suivi cette rupture, tandis que Denis Fagnet épouse le 25 novembre 1687 ladite Marie Caron … Soit seulement 5 mois après avoir rompu ses fiançailles avec sa promise.

On peut croire que je vois le mal partout … Il peut tout simplement s’agir d’une toute autre version : Denis Fagnet et Marguerite Didelet s’aiment sincèrement mais étant cousins germains, ils doivent disposer d’une dispense de Rome pour se marier. Pendant des mois, ils essaient de trouver une solution, mais en vain. De guerre lasse et convaincus de l’impossibilité d’obtenir cette dispense, ils décident de rompre leurs fiançailles pour que chacun puisse reprendre sa liberté …

On en saura donc jamais vraiment ce qui s’est réellement passé.


Toujours est-il que cet acte donne un éclairage de plus sur la vie courante de nos ancêtres ce qui est déjà beaucoup !



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Pour aller plus loin :