mardi 21 octobre 2014

Un matin d’octobre


J’ai déjà eu l’occasion de relater au moins par deux fois la fin dramatique de la vie de François Dalbert Chauvit, un jeune homme de 29 ans, arrière-grand-père maternel de mon épouse, et mort pour la France le 29 octobre 1915 à Moreuil dans la Somme.

Cependant, certaines rencontres familiales sont pleines de surprises et j’ai eu l’occasion de mettre récemment la main sur plusieurs documents concernant cette période terrible. Ces documents manuscrits sont émouvants car ils permettent de mesurer à quel point la Grande Guerre a été la somme de millions de destin uniques. En effet, l’histoire telle que nous l’apprenons à l’école, nous donne une vision globale des faits, alors qu’en réalité, il s’agissait bien de drames personnels et familiaux.

Carte postale pour les Infirmières de la Croix Rouge en 1914-1918


Avant d’aller plus loin, il faut préciser que pour François Dalbert Chauvit, l’année avait relativement bien commencée puisque sa femme avait mis au monde une petite Alice le 28 janvier, offrant ainsi une petite sœur à Georges, son aîné de 2 ans et quelques mois. Cette naissance a eu lieu 8 jours après le décès de Jean Chauvit, le père de François Dalbert. Elle venait en quelque sorte compenser la perte d’un père.

Cependant, le 6 octobre 1915, le petit Georges meurt des suites d’un accident domestique (sa chemise de nuit a pris feu alors qu’il s’était trop approché de la cheminée). Cette information arrive au père qui est sur le front, ou plutôt qui est dans l’ambulance 1 du secteur 86 à Moreuil, dans la Somme, car il a été blessé quelques jours plus tôt.

La suite des événements est décrite ici …

Octobre 1915, jour indéterminé, mais probablement vers le 20 du mois



Courrier écrit par A. Louis, infirmière de la Croix à Rouge à Hélénie Lascaud, épouse de François Dalbert Chauvit


« Madame,
Tout à l’heure, en donnant à boire à votre mari, je trouve sur son lit votre lettre où vous lui annoncez la mort de votre cher petit.
Mais cette lettre il n’a pas dû la comprendre car il est bien faible en ce moment.
Il vient d’avoir une crise de rhumatisme aigüe et cela l’a bien abattu.
Que je vous plains chère Madame de passer par une si dure épreuve, perdre votre cher petit et savoir votre mari blessé  et malade.
Mais je vois que vous avez du courage, et comme vous le dîtes, il vous reste votre petite fille pour vous soutenir dans votre affreux malheur.
J’ai fait prévenir le frère de votre mari qui est tout près d’ici, j’espère qu’il viendra demain.
J’espère aussi que votre mari va reprendre le dessus  et alors qu’il pourra vous écrire.
Courage chère Madame et croyez à mes sentiments les meilleurs.
A. Louis
Infirmière de la Croix Rouge »



30 octobre 1915

Courrier écrit par Roger Chauvit, frère de François Dalbert à sa belle-sœur


« Ma très chère Hélénie,
J’ai la grande douleur de vous annoncer la mort de mon pauvre frère décédé hier à 7h du matin 29 octobre à l’Ambulance du secteur 86 (Moreuil, Somme).
Que de peines, que de malheur il faut avoir.
La semaine dernière j’avais été le voir, jamais, jamais j’aurais cru le voir ainsi.
J’ai parlé à Mrs les Majors, ils m’ont bien dit eux aussi, je ne croyais pas votre frère à ce point là.
Le 28, aussitôt que j’ai vu qu’il allait plus mal, j’ai été le voir. A mon arrivée il m’a reconnu. Le 29 aussitôt j’ai demandé la permission de faire faire une caisse en chêne, ce qui a été accordé.
Le soir même il a été mis en bière, passé à la chapelle du château, ensuite en terre au cimetière militaire.
Malgré tous ces malheurs chère Hélénie encore heureux qu’il est été accompagné par moi jusqu’à sa dernière demeure.
Malgré tout chère Hélénie, il faut prendre courage, nous en avons bien besoin dans ces circonstances.
Hier j’ai trouvé Mr Pichon, je lui ai prié de vous écrire ou à mes parents car moi demandez pas si j’ai eu des fatigues et des peines.
Dans tous ces malheurs qui viennent nous frapper chère Hélénie, recevez tous nos amitiés et plus grands regrets.
Votre beau-frère qui vous embrasse de cœur.

Chauvit

PS : Prévenez vos parents je vous prie, si vous avez besoin de me demander quelques renseignements je suis à votre entière disposition.
                               R C »



5 novembre 1915

Courrier écrit par Jean Boin, époux d’Adeline Lascaud,  la sœur d’Hélénie Lascaud, épouse de François Dalbert


« Ma bien chère Hélénie,
Reçu hier au soir ta carte de Mareuil et ta lettre de Bove.
J’étais au courant du grand malheur qui te frappe et nous aussi par une lettre de Roger me donnant détails. Je suis avec toi dans ton immense douleur et tu ne peux croire ce que je le regrette et ce que je te plains à toi depuis avant-hier que j’ai appris cette funeste nouvelle je suis tout autre et j’ai pleuré comme un enfant.
Mon Dieu que cette guerre est cruelle et que de pleurs se versent depuis cette maudite déclaration des hostilités.
Je te le répète encore ma chère belle-sœur, si je puis être utile de n’importe quoi et n’importe quand tu n’auras qu’à me faire signe, je serai absolument à ton service pour ce qui sera en mon pouvoir et crois bien que si je peux t’être utile et agréable ce sera pour moi d’abord un impérieux devoir et ensemble un réel plaisir.
Je m’arrête ma chère Hélénie parce que j’ai trop mal au cœur et t’embrasse ainsi que tes parents et fillette de tout mon cœur.
Ton beau-frère qui t’affectionne bien.
J Boin. »



Je crois que ces courriers se passent de commentaires …

Ils montrent toutefois que pour chaque homme mort, une sorte de solidarité affective s’est mise en place pour aider la veuve du mieux possible. Bien sûr, avec le temps tout ceci s’est estompé, mais ces trois lettres montrent que chacun a essayé d’apporter un peu de réconfort à ceux qui en avaient besoin, que cela soit la famille ou des inconnus, comme cette infirmière qui a tenté de réconforter non seulement le blessé dont elle avait la charge, mais également ses proches.

Ces courriers montrent aussi des différences dans la façon de vivre un événement. Roger Chauvit, le frère de la victime est assez distant et est plutôt satisfait de ce qu’il a fait pour son défunt frère (à sa décharge, il était aussi sur le front et sans doute assez troublé par ce qu’il vivait). Jean Boin, l’autre beau-frère, semble plus proche de sa belle-sœur, ne cessant de lui répéter qu’il peut compter sur lui en cas de besoin …

J’ai transcris littéralement les courriers, avec leur syntaxe parfois … étonnante. Nul doute que l’émotion des rédacteurs de ces courriers lorsqu’ils les ont écrits y est pour beaucoup …


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mardi 14 octobre 2014

Faut-il faire la généalogie de ses alliés ?


Lorsqu’on se lance dans la généalogie de sa famille, on trouve très tôt ceux qu’on nomme les alliés. Les alliés sont les personnes qui se sont alliées par mariage avec nos ancêtres. Typiquement, ce sont les conjoints des frères et sœurs d’un ancêtre donné. D’ailleurs, le premier allié est notre conjoint ou ceux de nos enfants.

Le problème est que tout le monde sait à quel point l’établissement d’un arbre généalogique est une tâche titanesque. Alors pourquoi passer en plus du temps sur les arbres des alliés ? En a-t-on vraiment le temps ? Est-ce utile ?




Le temps

Evidemment, établir l’arbre de ses alliés prend du temps. Il s’agit cependant de savoir circonscrire la recherche à certains alliés et à certaines époques.

Je m’explique.

Faire la généalogie de son conjoint prendra autant de temps que pour sa propre généalogie. On peut toutefois la faire car elle concerne à part égale nos enfants. Mais il doit s’agit là d’une exception (à moins de commencer ses recherches très jeune et d’y consacrer beaucoup de temps).

En revanche, à partir du moment où on peut établir que certains de nos ancêtres sont stabilisés dans une région donnée ou, comme c’est souvent le cas, dans une paroisse ou un groupe de paroisses donné, on peut s’intéresser aux alliances, c’est-à-dire aux familles avec lesquelles les frères et sœurs d’un de nos ancêtres se sont unis.

On peut ainsi faire ces recherches tout en ciblant la période de temps pendant laquelle on les effectue. Ce qui de fait n’est pas si chronophage que cela …


L’intérêt

L’intérêt principal de ce type de recherches est qu’il permet d’établir une cartographie de l’environnement social dans lequel nos ancêtres ont vécu.

En effet, en établissant les liens qui existaient entre les conjoints d’une même fratrie par exemple, on va constater qu’une partie de la fratrie s’est alliée avec de parfaits inconnus d’autres paroisses, mais qu’une autre partie a renforcé des liens existant entre les familles depuis plusieurs générations.

Mes recherches personnelles m’ont montré par exemple que très souvent les aînés des familles s’unissaient avec des conjoints issus de familles alliées (voire même ayant un ancêtre commun à la troisième ou quatrième génération), tandis que les benjamins, pour lesquels l’enjeu était moindre, pouvaient s’allier à des inconnus, voire quitter la paroisse pour s’établir ailleurs.

Tout ceci démontre en fait que, sans que l’amour soit systématiquement absent des mariages, ces derniers étaient surtout là pour garantir la stabilité de la communauté.

Le dernier intérêt, qui n’est pas le moindre, est que cela peut permettre de résoudre des énigmes généalogiques, surtout si les alliances ont mis en jeu des familles partageant un ancêtre commun avec la nôtre. C’est un peu comme la fenêtre par laquelle on peut entrer si la porte est fermée ! Et même si l’énigme n’est pas résolue formellement, on peut tisser un premier portrait-robot de l’ancêtre recherché en se basant sur son environnement familial proche.


Alors, maintenant que vous savez que cela ne prend finalement pas tant de temps que cela et que cela a un grand intérêt, vous pouvez vous lancer dans la recherche des alliés de vos ancêtres ! En prime vous pourrez même découvrir certains liens avec des personnages hauts en couleur …


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mardi 7 octobre 2014

Une paternité douteuse ?


Le 22 novembre 1701, devant l’église Saint-Pierre de Béthisy, dans le Valois, le discret messire Jacques Potier, curé de la paroisse unit devant la foule rassemblée deux jeunes gens, Nicolas Baudequin, âgé de 21 ans et Louise Caron, âgée de 23 ans. Tous deux sont natifs de cette paroisse et d’ailleurs ils sont issus d’un milieu identique, celui des chanvriers et filassiers, et leurs familles demeurent dans ladite paroisse de Béthisy depuis plusieurs générations.
Il était donc assez logique qu’ils s’épousent car tous les ingrédients étaient réunis. Toute la famille est donc là en ce jour de novembre pour accompagner les jeunes mariés dans leur nouvelle vie.

Il faut croire que la nuit de noces a été efficace car 9 mois plus tard, le 25 août 1702 naît une petite fille qui sera nommée Louise par son parrain Jean Baudequin, son oncle paternel et par sa marraine Marguerite Legros, sa grand-mère maternelle. C’est la dernière fois que Jacques Potier intervient dans la vie de ce couple car peu de temps après il est remplacé par un dénommé Testelette.

Le baptême, Pietro Longhi, v. 1755, Pinacoteca Querini Stampalia


Dès son arrivée, ce nouveau curé ne fait pas l’unanimité parmi ses paroissiens car on relève dans les mois qui suivent son installation, plusieurs cas où le père n’a pas voulu être présent le jour du baptême …
Cependant, dans le cas de notre couple, les choses se passent normalement et la famille s’agrandit régulièrement puisque le 20 juin 1704 naît Marie Louise, le 19 novembre 1705 une autre Louise, le 4 février 1708 Nicolas, le 9 avril 1710 Marie Marguerite et le 8 mai 1712 Michel.

Arrêtons-nous au baptême de Michel.

Le curé nous indique qu’après la naissance, Nicolas Baudequin le père de l’enfant a refusé de lui parler et a même refusé de reconnaître l’enfant comme son fils ! Que s’est-il passé pour qu’une telle hypothèse soit venue à l’esprit du père de l’enfant ?

De nos jours, nous avons une connaissance assez bonne de la façon dont se passe une grossesse et en cas de doute, il existe toujours l’ADN … Mais à l’époque ? Peut-être que Nicolas Baudequin avait été absent à la période à laquelle sa femme était supposée être tombée enceinte ? Peut-être qu’il avait entendu des bruits sur la possible infidélité de sa femme ?

Toujours est-il que Nicolas Baudequin est persuadé que cet enfant n’est pas de lui …

C’est sans doute là qu’est intervenu le curé Testelette. Peut-être avait-il obtenu l’assurance de la part de Louise Caron, la femme de Nicolas Baudequin qu’elle n’avait pas fauté et que, sans dévoiler le secret de la confession, il avait entrepris d’expliquer audit Nicolas Baudequin que sa femme était honnête et que le petit Michel était bien de lui.
Peut-être au contraire que, sachant que l’enfant était illégitime, mais ne voulant pas que cela ait des répercussions sur la vie du couple et, indirectement, de la paroisse, il avait fait un pieux mensonge, expliquant à Nicolas Baudequin que l’enfant était bien légitime …

Toujours est-il qu’il semble s’être montré suffisamment convaincant car quelques temps plus tard, dans la marge de l’acte de baptême, le curé inscrit la mention suivante :


« Nicolas Baudequin est venu reconnaître l’enfant pour son fils, en foi de quoi il a fait sa marque. »


Tout semble s’être effectivement arrangé car deux ans plus tard, le 30 avril 1714, naît une petite Marguerite. Et cette fois, aucune contestation de paternité n’a eu lieu …
Avec du recul, je pense que les soupçons du père étaient sans doute fondés, mais qu’en l’absence de preuves formelles et grâce à l’intervention du curé tout est rentré dans l’ordre … Plusieurs questions restent en suspens comme la façon dont le père s’est comporté plus tard avec cet enfant …

Nicolas Baudequin décèdera le 6 septembre 1725 à l’âge de 45 ans et parmi les signataires il semble que ledit Michel ait été présent … Louise Caron, femme infidèle ou simplement victime de ragots, décèdera quelques années plus tard le 22 avril 1732 à l’âge de 54 ans, sans s’être remariée …


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